Vie de Charles de Foucauld
Charles de Foucauld est une personnalité attachante, surprenante, parfois déroutante et complexe, admirable, et inimitable. Découvrir sa vie est passionnant car on la perçoit par strates. D’extérieur, et c’est souvent ce sur quoi s’arrêtent les courtes biographies ou les bandes dessinées : un jeune militaire de la noblesse riche, qui mène une vie dissolue, au milieu de fêtes, entouré de femmes, et qui soudainement, à la suite d’une conversion à la Claudel, devient ermite et missionnaire au Sahara. Tout cela est très approximatif, mais, lorsque l’on s’intéresse à la vie de Charles de Foucauld, on découvre la profondeur de sa spiritualité et la cohérence de ce cheminement aux lignes courbes…
L’enfance et l’adolescence
Charles est né le 15 septembre 1858, à Strasbourg, 3 place de Broglie. Il vient un peu plus d’un an après un grand frère, également appelé Charles, mais qui ne vécut qu’un mois. En 1861, Charles a alors trois ans, naît une petite sœur, Marie. Sa mère, Elisabeth de Morlet, élève ses deux enfants dans une grande piété.
Elisabeth et ses deux enfants (1862)
Elle est issue d’une famille républicaine, ayant fait fortune par l’acquisition de biens nationaux après la Révolution. Son père, Edouard de Foucauld, est d’une lignée aristocratique. Les Foucauld sont en effet une très ancienne famille. Parmi ses ancêtres, on peut citer Bertrand de Foucauld, mort lors d’une croisade de Saint Louis, ou encore le chanoine Armand de Foucauld, mort martyr à la Révolution. Son père, Edouard, est inspecteur des forêts. Peu de temps après la naissance de Charles, la famille vient s’installer à Wissembourg, où le père de Charles vient d’être muté, à quelques kilomètres de l’Allemagne. Le 13 mars 1864, Charles va avoir 6 ans, sa mère meurt. En août de la même année, son père, malade depuis deux ans, meurt à son tour, et laisse donc les 2 orphelins, qui seront recueillis quelques temps par leur grand-mère paternelle, avant que celle-ci ne meure d’une crise cardiaque. Les deux enfants seront repris par leurs grands-parents maternels, le colonel Charles de Morlet et sa femme, qui vivent à Strasbourg. Le colonel de Morlet, polytechnicien qui fit sa carrière dans l’arme du génie, est un homme très bon, très attaché aux enfants, et en particulier à Charles à qui il transmettra son attachement à la France et aux valeurs militaires. Charles et Marie passent quelques semaines d'été en Normandie, à Louye, près de Dreux, chez la sœur de leur père, Inès, et son mari, Sigisbert Moitessier. Là, Charles devient proche de leur fille, Marie, plus âgée de 8 ans qui jouera un rôle important dans sa vie. En 1870, la guerre éclate, et son grand-père, après quelques mois à Berne pour fuir les combats décide de déménager à Nancy, Strasbourg étant devenue allemande. Charles passera là 3 années de sa vie avant d’obtenir son baccalauréat en 1874. Bien qu’ayant fait sa première communion et sa confirmation (1872), il perdra la foi, jugeant la religion catholique « trop peu crédible ». Après son bac, Charles part à Paris en pension chez les jésuites, à l'Ecole Sainte Geneviève pour préparer les concours militaires. Travaillant peu, et passant plus de temps dans les ouvrages littéraires que dans les livres de mathématiques, son niveau n’est pas bon. Il est même renvoyé de son école en mars 76 pour « paresse et indiscipline », à quelques mois des concours. Retournant à Nancy et voyant son grand-père très attristé par sa conduite, Charles prépare activement le concours de Saint Cyr où il sera reçu avec un bon rang en juin.
La carrière militaire (1876-1882)
Son admission à Saint Cyr marque son entrée dans la vie adulte. Finie l’austère vie de « prépa » à Ginette ! Mais si le profond patriotisme de Charles, probablement exacerbé par son désir de revanche sur les Allemands explique son entrée à St Cyr, Charles, qui aurait été plus attiré par la marine que par l’armée de terre, n’est décidément pas fait pour la vie de caserne. Il s’ennuie profondément, comme en témoigne ses échanges avec son ami du lycée de Nancy Gabriel Tourdes. A Saint Cyr, il fait partie de la promotion de Philippe Pétain, avec qui il n’aura pas d’affinités, mais aussi d’Antoine de Vallombrosa, marquis de Morès, qui deviendra son ami intime. Ses résultats sont plutôt médiocres, et la mort de son cher grand-père, en février 1878 l’attriste plus que tout. « On m'enlève du même coup ma famille, mon chez moi, ma tranquillité, et cette insouciance qui était si douce. Et tout cela je ne le retrouverai plus jamais » dira-t-il à son ami Gabriel Tourdes. Ses extravagances lors de ses années à Saint Cyr sont nombreuses, et les jours d’arrêt pour indiscipline s’enchaînent. De nombreuses anecdotes circulent sur cette période, mais il est difficile de toutes les vérifier. Après la mort de son grand-père, il est émancipé, ce qui lui permet de jouir d’une fortune importante acquise du côté de sa mère. A sa sortie de St Cyr, Charles fait son école d’application dans la cavalerie, à Saumur. Il dépense volontiers, souvent entraîné par son ami Antoine de Vallombrosa. Mais l’organisation de fêtes, les sorties en ville, et son intérêt marqué pour la gastronomie n’effacent pas son profond ennui de la vie en Ecoles. Après son année à l'Ecole de cavalerie de Saumur, d'où il sort le dernier de la promotion, il est affecté à Pont-à-Mousson, au 4ème hussards. Lorsque son régiment part en Algérie en octobre 1880, une femme connue à Pont-à-Mousson l’accompagne, se faisant passer pour son épouse! Sans doute plus par provocation envers une institution militaire qui ne semble pas faite pour lui que par amour pour elle, Charles n'accepte pas de la renvoyer en France, comme le lui demande sa hiérarchie, ce qui lui vaudra des arrêts, puis un séjour en prison. Devant ses refus successifs, en mars 1881, il est mis en « non-activité par retrait d’emploi ». Ce bref séjour en Algérie aura cependant marqué Charles, émerveillé devant la beauté des paysages. A Evian, où il séjourne avec sa maitresse, dont il semble se lasser, il apprend que son régiment est appelé en opération à la frontière tunisienne. Charles n’aime pas la vie de garnison mais rêve en revanche d’une vie utile et d’action. Renonçant à revoir cette personne, il demande aussitôt sa réintégration dans l’armée, ce qui lui est accordé, mais il est affecté dans une autre unité, le 4ème Chasseurs d'Afrique, qui participe à des colonnes dans le sud oranais. Dans l'action, Charles se révèle un excellent sous-lieutenant, sachant conduire ses hommes avec courage et autorité. Durant cette campagne contre la tribu maraboutique de Bou Amama, et la période qui s’en suivit, Charles sera fasciné par le Maghreb. Il souhaite faire partie de cette race d’explorateur, aux côtés d’autres militaires qui profitent de leur séjour en Afrique pour mieux comprendre ce continent. Il se plonge dans la culture du Proche-Orient, étudiant la langue arabe, l’islam, et tout ce qui se rapporte à l’Afrique du Nord. Les combats finis, son unité retourne dans la ville de Mascara, dans l’ouest algérien. Charles, qui s’ennuie dans la vie de garnison, et rêve d’exploration. Il veut partir au Sénégal, mais cette demande de mutation lui est refusée. Il démissionne alors de l'armée à la stupéfaction de ses chefs et au désespoir de sa famille. Son oncle et sa tante Moitessier voudraient surtout qu'il rentre en possession de la somme de 100 000 francs qu'il a prêtée à son ami Morès à la sortie de Saumur, et ils interviennent pour qu'un conseil judiciaire lui soit donné pour préserver le reste de sa fortune. Par décision du tribunal de Nancy, son cousin Georges Latouche supervisera la gestion de son patrimoine. Charles est alors à Alger, pour se préparer à une expédition qu’il mènera au Maroc.
Charles explorateur (1882 – 1884)
Charles prépare activement un grand périple dans le sud marocain. Pendant un an, de mars 1882 à juin 1883, il travaille sans relâche à la bibliothèque d’Alger avec Oscar Mac Carthy, homme passionné par l’Afrique. Le Maroc intérieur est une région encore peu connue. Mais aller sur cette terre musulmane en Chrétien relève du suicide. Il faut se faire passer soit pour un musulman, soit pour un juif. C’est cette seconde solution que choisit Charles, les Juifs étant dans ces pays considérés comme des petites gens méprisables. Charles se fera accompagner par un vrai rabbin marocain vivant en Algérie, Mardochée Abi Sérour. Ils partent tous les deux le 10 juin 1883. De ce voyage, Charles en retire trois choses. En premier lieu, une expédition remarquable sur le plan scientifique mais également ethnique. En second lieu, Charles qui a fait le choix d'une vie "à la juive" y fait l’expérience de la pauvreté et surtout du rejet, car au Maroc, le juif était méprisé par les musulmans. Ce sentiment d’être relégué à la dernière place, Charles ne l’avait jamais vécu et cette expérience ne sera pas oubliée dans sa vie de converti. Enfin, Charles éprouva, peut-être par contraste avec les juifs, une profonde admiration pour les musulmans et ce pays. l’émerveillement devant les paysages, le désert, les nuits étoilées, ne seront pas étranger au processus de sa conversion. A son retour, Charles se repose dans la famille de sa tante, y retrouve sa soeur et sa cousine Marie. Accueilli en héros par sa famille, qui a maintenant oublié ses frasques et sa conduite dispendieuse, il devient célèbre auprès des géographes qui saluent l’exploit de cette expédition. A peine reposé, Charles repart à Alger. Sa vie dorénavant est en Afrique. A nouveau cloitré dans la grande bibliothèque d’Alger avec son ami Mac Carthy, il travaille à la rédaction de son livre relatant son expédition mais également à la préparation d’un nouveau voyage dans le sud algérien et tunisien. Durant cette période, il fait la connaissance de Marie-Marguerite Titre, fille d'un officier spécialiste en géographie auprès duquel il travaille, et envisage de l’épouser. Sa famille à qui il parle de son projet de mariage, est tout à fait opposée. Catholique, mais issue d’une famille protestante, qui, de surcroît, n’est pas noble, et dénuée de fortune, elle ne peut devenir l’épouse de Charles. Celui-ci se range à l’avis de sa tante. Avec souffrance Charles rompt ce projet. Pour Marie-Marguerite, ce fut encore plus difficile, tant son espoir de mariage avait été grand. Après une longue tournée dans le sud algéro-tunisien, au cours de laquelle il se liera d’amitié avec le lieutenant Motylinski, officier interprète, arabophone et spécialiste de l’histoire et des langues berbères, Charles rentra à Paris en février 1886, pour terminer son ouvrage « Reconnaissance au Maroc » et retrouver sa famille. Il s’installe dans un appartement rue de Miromesnil y couchant à même le sol, vêtu d’une djellaba. S’il est physiquement à Paris, son esprit est toujours en Afrique du Nord. Il dira plus tard à son ami Henri de Castries : « L’islamisme est extrêmement séduisant : il m’a séduit à l’excès. Mais la religion catholique est vraie : c’est facile à prouver. ». Cette attirance pour quelque chose de grand, de beau, qui transcende sa vie dont il a fait l’expérience durant son voyage au Maroc a réveillé en lui ses souvenirs d’enfant éduqué dans la foi catholique. Les conversations avec sa tante Moitessier et sa cousine Marie, si bonnes avec lui, lui ont montré que la religion catholique pouvait conduire aussi à l’élévation de l’âme. Et, tout comme il prit des cours pour apprendre l’islam, il souhaite redécouvrir la religion catholique. Il s’est donc présenté en cette fin d’octobre 1886 à l’abbé Huvelin, directeur spirituel de sa cousine Marie, qui était à la paroisse Saint Augustin.
Un processus de conversion lent (octobre 86 – janvier 90)
Souvent, on entend que Charles de Foucauld s’est converti soudainement en rencontrant dans cette église un prêtre qui lui aurait dit « Confessez-vous », puis « Allez communier ». Si ces mots sont justes, et si la conversion de Charles de Foucauld fut totale dès cette rencontre, la clarté religieuse dans sa vocation ne fut pas si soudaine. Loin de là… En plus d’une différence d’âge de 30 ans, l’abbé Henri Huvelin est, sous certains aspects, aux antipodes du caractère de Charles. Alors que Charles veut aller vite dans ce qu’il entreprend, l’abbé Huvelin temporise, le forçant à réfléchir, à murir chaque décision. L’abbé Huvelin ne fut pas le père que Charles n’a jamais eu. Les relations entre les deux hommes, qui dureront près de 25 ans, seront basées sur la confiance et l’amour. L’abbé Huvelin sera surtout un guide, un éducateur spirituel, au sens profond du terme, celui qui permettra à Charles de Foucauld de le conduire vers Jésus de Nazareth. Fin 1888, Charles veut donner sa vie à Dieu, mais ne sait pas quelle voie choisir. Son caractère entier le pousse à vouloir être moine, mais l’abbé Huvelin lui conseille d’attendre. Alors il part pour la Terre Sainte, où durant trois mois (nov 88 – fev 89), le pèlerin qu’est devenu Charles est conforté dans sa conviction de mener une vie d’effacement et d’humilité, dans les pas de Jésus. La religion catholique voit dans le Christ un modèle d'humilité « Vous avez tellement pris la dernière place que jamais personne n’a pu Vous la ravir » dira l’abbé Huvelin dans un de ses sermons. Cette phrase a résonné dans le cœur de Charles toute sa vie… Ce souhait d’une vie misérable, humble, qu’il a goûté depuis son voyage au Maroc trouve son sens. A son retour de Terre Sainte, soit plus de 2 ans après ce fameux jour d’automne 86 où il entra dans l’église Saint Augustin, après une retraite de discernement à Clamart, Charles a pris sa décision : il entrera au monastère. Il souhaite vivre selon l’ordre qu'il croit être le plus misérable, celui de la Trappe. Le 15 janvier 1890, il fera ses adieux à sa famille, et en particulier à sa cousine Marie à qui il doit tant, et qui fut un peu une mère pour lui… Une date essentielle pour lui qui a 32 ans, qui marque un tournant dans sa vie. Il pense qu’il ne reverra plus jamais sa famille et l’abbé Huvelin…
Une vie de trappiste (janvier 1890 –février 1897)
La Trappe de Notre Dame des Neiges, en Ardèche, où il entre, craignant sa situation menacée par les mesures anticléricales de la IIIème République, avait fondé un pauvre prieuré près d’Akbès, en Syrie. Charles demande à être envoyé dans ce monastère très pauvre. La vie à la Trappe est considérée comme l’une des plus austères. Cette pauvreté ne pèse pas à Charles, pour qui les conditions de vie, qu’il espérait plus dures encore, ne sont rien à côté de la séparation de sa famille et de ses amis. Il prononce ses vœux simples monastiques en février 1892, et, rapidement, estime qu’une vie plus pauvre encore serait plus conforme à la vie de Jésus à Nazareth. L’envie de créer un ordre, plus pauvre encore que celui de la Trappe et inspiré de Sainte Thérèse d’Avila, germe dans l’esprit de Charles. Ses supérieurs le considère comme excessif, et l’abbé Huvelin, plusieurs fois, l’en dissuade, lui conseillant d’approfondir d’abord sa vie monastique, de suivre ses études de théologies. Les années passent, et Charles n’abandonne pas son idée d’une vie plus pauvre. Lorsque l’abbé Huvelin reconnaît que la Trappe n’est peut-être pas ce qu’il faut à Charles, celui-ci reprend espoir et envoie son projet d’ordre à l’abbé Huvelin. Après l’avoir lu, il lui répond « Surtout, ne fondez rien ! Vous n’êtes pas du tout fait pour conduire les autres… ». Durant la nuit du 26 au 27 mars 1896, les Trappistes d’Akbès ont échappé de justesse à un massacre par les Kurdes (100 ans, jour pour jour, avant l’enlèvement des moines de Thibhirine ). C’est à cette époque peut-être à la lumière de ce qu’il vient de vivre, que Charles écrira dans ses méditations sur l’Evangile, la fameuse méditation sur les dernières paroles du Christ sur la Croix : « Mon Père, je me remets entre tes mains ». Cette prière deviendra plus tard, en 1945, la prière d’abandon, témoignage de la spiritualité foucauldienne. C’est la prière de Jésus à son Père, une prière d’offrande, de confiance, d’abandon, et de louange… Mon Père, je me remets entre vos mains ; Mon Père, je me confie à vous ; Mon Père, je m’abandonne à vous ; Mon Père, faites de moi ce qu’il vous plaira ; Quoi que vous fassiez de moi, je vous remercie ; Je vous remercie de tout ; Pourvu que votre volonté se fasse en moi, mon Dieu, pourvu que votre volonté se fasse en toutes vos créatures, en tous vos enfants, en tous ceux que votre cœur aime, je ne désire rien d’autre mon Dieu; Je remets mon âme entre vos mains ; Je vous la donne, mon Dieu, avec tout l’amour de mon cœur, parce que je vous aime, et que ce m’est un besoin d’amour de me donner, de me remettre en vos mains sans mesure ; Je me remets entre vos mains, avec une infinie confiance, car vous êtes mon Père. A l’automne 1896, les supérieurs de la Trappe envoient Charles à Rome poursuivre ses études de théologie, après un passage par la trappe de Staouélie, en Algérie. Depuis son admission, les supérieurs le voyaient prêtre et même chargé de responsabilités. Mais, se résignant aux faits, l'Abbé général dispense Charles, ou plutôt frère Marie Albéric, de ses vœux, qui retourne donc sous la direction de l’abbé Huvelin.
Nazareth (mars 97 – mars 1900)
En accord avec l’abbé Huvelin, Charles, qui n’aspire qu’à vivre comme le plus pauvre parmi les plus pauvres va à Nazareth en mars 97, chez les Clarisses, qui mettront à sa disposition une cabane au fond du jardin. Il jeûne presque continuellement et effectue de petits travaux domestiques. Il n’est pas très doué pour les travaux manuels, en particulier de jardinage… Il était, selon les Clarisses, incapable de planter une salade ! Pendant les 3 années de son séjour il poursuivra ses méditations sur l’Evangile, et écrit le Règlement des ermites du Sacré Cœur de Jésus. Pour Charles, l’Evangile et Jésus sont intimement liés… Durant ces 3 années, Charles était le véritable moine-ermite, vivant près de Jésus, dans la simplicité de cette période de vie cachée. Il est devenu un total disciple de Jésus… Ce n’est qu’après cette vie d’imitation, que la vie d’apôtre pouvait commencer. Et c’est par l’Eucharistie, pour répondre à cette mission d’apôtre que Charles de Foucauld, au début réticent à l’ordination, décide d’être ordonné prêtre, persuadé par Mère Elisabeth, abbesses des Clarisses à Jérusalem. Il n’y a pas d’acte d’offrande sans sacrifice, et seul le sacrifice Eucharistique permet de rendre à Dieu la gloire et la louange qu’il mérite. « Si je veux mieux imiter Jésus, il faut que je sois prêtre », dira-t-il. Il prend pour devise « Jesus Caritas », Jésus Amour, Jésus Sauveur par la Croix, d’où le symbole du cœur et de la Croix. Après une préparation en France, à l’abbaye Notre-Dame des Neiges, il fut ordonné prêtre le 9 juin 1901, à Viviers.
Béni-Abbès (1901-1905)
Le statut de Charles sera celui de « prêtre libre ». S’il est bien rattaché au diocèse de Viviers, il peut cependant vivre où il le souhaite ; il peut vivre seul, en ermite ou en communauté. Il souhaite créer un poste d’évangélisation au Maroc. Il n’est cependant pas question pour un prêtre d’aller s’établir, seul, au Maroc: cette terre musulmanes l’aurait aussitôt exclu. Il s'installe donc au plus près du Maroc. Avec l’accord de Mgr Guérin, préfet apostolique du Sahara, et l'accord des autorités civiles et militaires, il alla donc, en qualité d’aumônier militaire, en octobre 1901 dans les confins algéro-marocains à Béni-Abbès, où résidait une garnison militaire. Charles est chaleureusement accueilli par ce milieu militaire qu’il connaît bien. Son action est tournée vers les officiers et les soldats, mais également vers la population locale, que l’on peut diviser entre les arabes, plutôt réticents à l’occupation française, et les berbères, plus enclins à se tourner vers la France. Charles, nouveau missionnaire, apparaît à son arrivée d'une ardeur prête à tout faire. Rapidement, il dresse une longue liste de tout ce qu’il faudrait établir pour évangéliser, et aider les populations locales. Scandalisé par la présence de l’esclavage, il a tenté de protester par courrier. Mais ce fut peine perdue, et Mgr Guérin tâcha de modérer ses ardeurs. Sa lutte se traduisit par le rachat de 4 d’entre eux, dont un fut baptisé. Durant cette période, Charles souhaitait ardemment évangéliser le Maroc. Mais ce pays restait fermé à tout chrétien et français. Une garnison là-bas aurait été totalement inenvisageable, alors que pourrait-il en être d’une mission ! Mais Charles restait accroché à ce projet, malgré l’insistance de son ancien ami du 4ème chasseur, le commandant Laperrine, qui tente de l’en dissuader et lui propose de l’accompagner dans une tournée d’apprivoisement dans le sud de l’Algérie. Malgré l’absence de disciples, Charles veut vivre selon la règle qu’il a établie alors qu’il était à Nazareth :
3h lever (Mgr Guérin obtiendra de décaler cette heure du lever à 4h…)
4h, Angélus, Veni Creator, prime et messe
6h, légère collation (dattes ou figues)
7h-8h : adoration du St Sacrement
8h-11h : travail manuel
11h30 : diner
12h : Veni Creator
12h15-17h30 : adoration et méditation, sauf une heure, variable, consacrée aux affaires urgentes.
17h30 : Vêpres
18h : collation
19h : explication de l’Evangile à quelques soldats, puis prière, bénédiction du St Sacrement, Angélus et Veni Creator, renvoi des soldats, puis coucher des enfants et esclaves recueillis
20h30 : extinction des feux
24h-1h : réveil, Veni Creator, matines et laudes.
Mais ce programme est bien difficile à tenir, car Charles reçoit de nombreuses visites et sa maison d’accueil, suivant le modèle des Zaouias, tient lieu d’endroit dédié à la fois à l’enseignement, à l’hospitalité et à la bienfaisance. En juin 1903, Mgr Guérin vient lui rendre visite, et son passage est important dans la vie missionnaire de Charles de Foucauld. Il ne voit pas chez les musulmans que des « captifs du démon », mais est au contraire persuadé qu’il y a une part de bon dans chacun d’entre eux. C’est à cette époque, en particulier sous l’insistance de son ami Laperrine, et après avoir rédigé un condensé des 4 Evangiles destiné à être imprimé en arabe et en touareg, qu’il accepte de participer à la tournée vers le sud. Ce nouveau voyage ne pourra se faire qu’avec l’accord de l’armée, au début réticente, en raison du danger qui règne dans la région du Tidikelt, mais qui finalement donnera son accord, sous la pression de Laperrine. La venue de Charles de Foucauld dans cette région répond à deux objectifs : scientifique d’abord, avec les compétences linguistiques et géographiques de Foucauld auxquelles veut faire appel Laperrine, mais politique également, en demandant au frère Charles de contribuer à pacifier les Touaregs en contrebalançant l’influence des marabouts musulmans plus ou moins partisans d’une guerre sainte contre la France. La venue de ce frère universel, désintéressé, vivant pauvrement plus par choix que par contrainte, devait effacer l’image des Français « conquérants brutaux ». C'était une convergence de vues entre Charles de Foucauld et son ami Laperrine. De janvier 1904 à janvier 1905, Charles part pour une longue tournée dans le Sud Sahara, avec Laperrine. A son retour à Béni-Abbès, il reprend sa vie d'ermite missionnaire et reçoit de nombreux visiteurs : Lyautey, Niéger,… A nouveau, le commandant Laperrine le sollicite pour s’installer dans le Hoggar. Charles de Foucauld hésite. Sa mission n’est-elle pas ici, près des populations locales, et des militaires qui n’ont pas de prêtres ? Il s’en remet à Mgr Guérin et à l’abbé Huvelin qui lui donnent leur accord. Charles part avec la mission du capitaine Dinaux en mai 1905. Il arrive 3 mois plus tard dans ce lieu grandiose du Hoggar et l’armée repart, le laissant seul à Tamanrasset, avec l’autorisation de l’aménokal Moussa ag Amastane, chef des tribus locales, au milieu des Touaregs, pour qui il est venu. Il entame alors un travail colossal sur le dialecte du Hoggar, dont un dictionnaire, qu’il n’achèvera que 11 ans plus tard…
Tamanrasset (août 1905 – septembre 1906)
A contre-pied de la vision coloniale de certains Français, Charles de Foucauld voit dans la population touarègue, d'origine berbère, des gens particulièrement vifs et intelligents, capables, s’ils font l’effort d’apprendre le français, de devenir pour certains égaux avec les Français. Il lutte contre toute volonté de s’appuyer sur les chefs de clans locaux, considérant qu’il est préférable de traiter directement avec la population. Sur ce point, il ne sera pas entendu, pas plus dans le Hoggar qu’au Maroc, puisque Lyautey, au début du XXème siècle fera reposer son action sur les relais de la hiérarchie établie. Tamanrasset est le bout du monde. 15 familles, une cinquantaine d’habitants dont peu enfants, la vie de Charles de Foucauld y est rude. Charles y installa une maison d’environ 6 mètres de long, 2 de large, dénommée à cause de ces dimensions "la frégate", dans laquelle il prie, dort et mange. Il construit une « Zériba », pour accueillir les visiteurs. Fin 1906, Charles retourne dans le Nord, à Maison-Carrée à Alger, chez les Pères blancs, pour y rencontrer Mgr Guérin qui lui confiera un compagnon, malheureusement incapable de mener la vie d’austérité de Charles. Avant de séjourner à Béni-Abbés pour y fêter Noël, Charles rencontre à Aïn Sefra le général Lyautey. C'est peu après la conférence d'Algésiras où la France reçoit quelque pouvoir de police dans les ports du Maroc. Charles fera savoir à Lyautey qu'il est prêt à s'installer comme missionnaire au Maroc, pays pour lequel il a tant d'affinités, mais on ne lui fera pas appel. Il retourne dans le Hoggar, et retrouve ce pays dans lequel il s'intègre de plus en plus. Mais son action ne porte pas vite les fruits qu’il espérait. Ses conseils ne sont pas toujours suivis par Moussa, qui préfère écouter ceux de Cheikh Baye qui l’encourage à islamiser, toutefois sans francophobie, le Sahara. Charles poursuit son œuvre. Guidé par les Evangiles, et sans jamais se couper de l’Eglise représentée par le Préfet apostolique, Mgr Guérin, il continue de défricher, avant que d'autres que lui puissent un jour semer, et plus tard encore moissonner. C’est là le cœur du travail de Charles de Foucauld dans ce pays. Ses travaux sur la langue touareg (le Tamachek), avec Motylinski, qui mourra en mars 1907, s’inscrivent dans cette œuvre d’évangélisation par l’inculturation. Fin 1907, Paul Embarek quitte Frère Charles, trouvant cette vie trop austère comparée à celle de Béni-Abbès. Charles est alors seul, et, faute de servant, il ne peut célébrer la messe. Il se nourrit si peu qu’en janvier 1908, il tombe malade. Certains Touaregs de ses amis, dans un élan de solidarité, vont le soigner en lui apportant du lait. Ils cherchent ce lait des chèvres à plusieurs kms à la ronde pour lui redonner des forces. Il est passé près de la mort, et cette épreuve lui montre que ceux à qui il s’était mis au service, sont capables de lui faire, eux aussi, l’aumône. A son tour dépendant d’eux, il leur était soumis. Il a 50 ans et lorsqu’il regarde sa vie, elle lui semble si peu féconde. Une carrière militaire écourtée, une vie monastique qui n’a pas duré, aucune conversion, un ermitage à Béni-Abbès qu’il a finalement abandonné, et le voilà seul à Tamanrasset, malade, et si seul. Cette maladie en début d’année 1908 va le réconcilier avec l’absence de fécondité apparente de sa vie. En offrant tout, jusqu’à sa pauvreté, il fait don de ses espérances, et s’en remet une fois de plus totalement à la divine Providence. Cette réconciliation avec lui-même illuminera les 8 dernières années de sa vie. Autre réconfort, le Vatican lui permet de dire la messe seul ! Répondant à l’invitation de l’abbé Huvelin, qu’il n’a pas revu depuis si longtemps, Charles va faire un voyage à Paris au printemps 1909. Il y retrouvera sa chère cousine, laissée 20 ans plus tôt et qu’il ne pensait plus jamais revoir. Mais ce voyage était surtout motivé par son souhait de concrétiser la création de l’Union des frères et sœurs du Sacré-Cœur de Jésus. Il s’agissait d’unir les forces de tous ceux, laïcs ou consacrés, pour travailler à la conversion des peuples infidèles, avec au premier chef l’Afrique musulmane. Nous sommes bien loin de l’ordre religieux que voulait Charles à Nazareth… Durant ce voyage, Charles fit la connaissance de Louis Massignon, alors âgé de 25 ans avec qui il échangeait de façon épistolaire depuis 3 ans et qui occupera une place importante dans sa vie. Massignon venait de se convertir au catholicisme alors qu'il était en pays d'Islam pour ses travaux sur un mystique musulman. De retour à Tamanrasset, Charles reprend ses travaux de linguiste et d’évangélisateur. Il confectionne pour les Touaregs des chapelets, avec une médaille à la place de la croix. Sur les gros grains, il leur apprend à prier ainsi « Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur » et sur les petits « Mon Dieu, je vous aime ». En juillet 1908, Laperrine explore le haut Hoggar, et découvre le massif de l’Assekrem, à 2500 mètres d’altitude, dans un paysage à couper le souffle. Il en parle à Charles qui en 1911 y installera un ermitage, mais sa présence à Tamanrasset, aux côtés de l’aménokal est nécessaire. Et puis, ce fut le voyage de Moussa en France, organisé par Laperrine. L’idée de ce voyage, auquel ne participera pas Charles, est de sensibiliser Moussa Ag Amastane à la grandeur de la France. Si Charles se désole d’apprendre que l’aménokal est aller visiter le Moulin Rouge, le but du voyage a été atteint. Le chef du Sahara reviendra impressionné par ce qu’il a vu : les chemins de fer, les monuments, les villes,… et même la sœur de Charles, Marie de Blic, à qui il est allé rendre visite dans son château. En 1910, toujours pour se rapprocher des populations les plus isolées, Charles construit à 2700 mètres d’altitude l'ermitage de l’Assekrem, à 60 kms de Tamanrasset. Il ne veut pas y résider pour s’isoler, se mettre à l’écart de la ville qui maintenant compte de nombreuses maisons en dur, avec un jardin clos. Il s’y rendra pour être plus près des populations nomades. Mais sa santé ne lui permettra pas d’y rester trop longtemps. 1910 est l’année de séparations : la mort de monseigneur Guérin, à 37 ans, épuisé par ses longues années dans le désert, puis celle de l’Abbé Huvelin, malade depuis de nombreuses années, et enfin le retour en France du colonel Laperrine, qui sera muté à Lunéville. Au printemps 1911, Charles revient en France pour avancer son projet d’Union, qui n’a toujours pas d’adhérents. A son retour en Algérie, il reprend ses travaux, au milieu des Touaregs qui ont une réelle amitié pour le marabout chrétien. En juillet 1911 Charles s'installe dans son ermitage de l’Assekrem, mais sa santé fragile ne lui permet pas d’y rester longtemps et il en redescend en décembre. A Tamanrasset, il fait la connaissance du capitaine Charlet, responsable du secteur, avec qui il parle de longues heures de l’Afrique, du Maroc qu’il faut coloniser avant que l’Allemagne ne vienne s’y installer. Car, dans ces années précédant la première Guerre Mondiale, le sentiment antigermanique est très fort, même en Afrique où la grande politique musulmane du II ème Reich est présente. En Afrique, la guerre semble inévitable en raison des convoitises partagées par les deux pays au Maghreb. A l’été 1913, Charles effectue son troisième et dernier voyage en France. Il est accompagné d’un jeune Touareg, Ouksem, à qui il fait découvrir les habitudes de France. En plus de ses séjours en famille, de ses rencontres avec Massignon, avec des militaires, des scientifiques, des responsables de l'Eglise, d’un accord donné pour la réédition de son livre Itinéraire au Maroc, ce dernier voyage fut très utile pour un début d'organisation de la confrérie qu'il projetait depuis des années. Ce n’est que début septembre 1914 que le Père de Foucauld apprit que la France et l’Allemagne étaient en guerre. Cette guerre, il ne la redoutait pas, tout comme la plupart de ses patriotes, voyant dans ce conflit la réparation d’une injustice. Il voulait même y participer, mais il n’en reçut pas l’autorisation. Il s’y résigna et, durant 2015, tâcha de maintenir un climat de paix auprès des Touaregs, alors que la plupart des garnisons, en charge de la pacification du Sahara, étaient réduites au profit des troupes engagées dans le conflit mondial.
Mort et héritage spirituel
Conscient du danger, il abandonne la Frégate jugée trop peu sûre, et s’installe dans un fortin, un « Bordj » plus grand, destiné si nécessaire à protéger ses occupants des assaillants. Cette décision fait suite à plusieurs mises en garde, confirmées par des menaces d’attaques, notamment en septembre 1916. Le 1er décembre 1916, en fin de journée, alors qu’il travaille comme à son habitude, on vient frapper. L’homme qui l’appelle n’est pas un inconnu. Charles, sans s’inquiéter, ouvre la porte du fortin. Une main le jette au-dehors. En quelques minutes, il est à genoux, les poings liés aux chevilles. Il attend, sous la garde d’un jeune sénoussiste, que les pillards fouillent le bordj, à la recherche de quelques valeurs, qu’ils ne trouveront pas d’ailleurs. Après le pillage, ils devraient l’emmener avec eux, pensant en tirer une rançon. Mais alors que la fouille se poursuit, deux méharistes, à dos de chameau, approchent du bordj. Cette venue soudaine sème la confusion, et le jeune sénoussiste prend peur. Il tire, peut-être sans le faire trop exprès : Charles de Foucauld meurt sur le coup, la balle lui ayant traversé la tête. Les deux méharistes seront également assassinés. Les pillards passent la nuit à l’écart du bordj, laissant les corps sans vie à terre. Le matin du 2 décembre, le courrier remontant du sud, en provenance de Fort Motylinski, vient récupérer les lettres du Père Charles. Surpris par les pillards, il sera aussi assassiné et les 4 corps seront bientôt jetés dans le fossé qui borde le Bordj. Lui qui a vécu si longtemps aux côtés des musulmans, il sera, même dans la mort, à leurs côtés. Paul, le domestique du Père, et quelques hommes du village les mettront en terre et fermeront le fortin. Ce n’est que le 21 décembre que le capitaine de La Roche peut passer sur place. Il refait les sépultures et plante une croix de bois sur la tombe de Charles de Foucauld. Il retrouvera notamment la lunule contenant le saint Sacrement dans le sable du fortin : les pillards, ignorant ce dont il s’agit, l’ont jetée. La nouvelle de sa mort, se répand vite en France. Moussa Ag Amastane sera très affecté par la perte de son ami. Quelques temps plus tard, Laperrine vient à Tamanrasset et déplace le corps de son ami de Foucauld et y fait élever sur son tombeau une croix de granit. Ce même général Laperrine, mort dans un accident d’avion en 1920 sera enterré à côté de son ami. En 1929, les restes du Père de Foucauld sont transférés à El Goléa. Le cœur de Charles de Foucauld, lui, est resté dans son ermitage de Tamanrasset. Quelques années plus tard, en 1921, René Bazin, à qui il avait écrit rédige une biographie à la demande des Pères blancs et de Louis Massignon qui deviendra un « best seller ». Dès les années 20, le grain en terre commence à germer. Les premières communautés apparaissent. L’évêque de Ghardaïa ouvre un procès informatif en vue de sa béatification. Un premier rapport est publié en 1952, mais il faut attendre 1978 pour l’introduction de sa cause à Rome, et novembre 2005 pour qu’il soit proclamé Bienheureux. Pourquoi si longtemps ? Le conflit franco-algérien, bien sûr, de 1954 à 1962 a stoppé tous les travaux. L’autre raison est l’absence de miracle, indispensable à toute béatification. Il fallut attendre le 20 décembre 2004, pour qu’enfin un miracle attribué à l’intercession de Charles de Foucauld permette de conclure la démarche de béatification. Aujourd’hui, l’œuvre de Charles de Foucauld demeure vivante. Sa canonisation est en cours, conduite par Monseigneur Pierre Ardura, et soutenue par les Amitiés Charles de Foucauld. Quand on peut souffrir et aimer, on peut beaucoup, on peut le plus qu’on puisse en ce monde .